|
> Le conflit du Kosovo au coeur de l'implosion yougoslave
>
>
> par Véronique Pasquier
> 7 juillet 1998
>
>
> Une première mission d'observation internationale a visité sans entrave,
> hier au Kosovo, une zone contrôlée par les forces serbes, au nord et à
> l'ouest de Pristina, chef-lieu de la province.
>
> Quelques obscurs policiers serbes, esquivant derrière des sacs de sable
les
> tirs occasionnels des snipers albanais au fond d'un vallon, sont devenus
> hier des vedettes internationales. Leur "check-point" se trouvait sur l'
> itinéraire de la première mission d'observation diplomatique au Kosovo,
qui
> les a brièvement interrogés devant tous les médias de la planète. Un
> déplacement au risque mesuré, reconnaît Richard Miles, chargé d'affaires
> américain à Belgrade, qui menait le convoi dans une 4è4 blindée avec l'
> ambassadeur russe: les visiteurs ont parcouru la Drenica, bastion
> indépendantiste, en se limitant aux tronçons routiers sous contrôle
> gouvernemental.
>
> Richard Miles promet que le personnel des ambassades une centaine de
> diplomates et de militaires retraités sont attendus manifestera bientôt
plus
> d'audace. Face aux informations contradictoires, il s'agit de mettre les
> parties en confiance afin de fournir aux gouvernements et aux
organisations
> humanitaires "une évalutation objective de ce qui se passe". Slobodan
> Milosevic, le président yougoslave pourtant allergique à l'
> "internationalisation" du problème du Kosovo, y a consenti récemment à
> Moscou. Non seulement les Albanais, qui demandent depuis longtemps une
> présence internationale, mais les Yougoslaves en voient aujourd'hui les
> avantages, souligne Richard Miles.
>
> Il suffit de fausser compagnie à la caravane pour en comprendre la raison.
> Hors de la route principale et du centre régional, Srbica, déserté par les
> Albanais et plein de forces serbes, les villages appartiennent à l'Armée
de
> libération du Kosovo (UCK). Gani Gecaj, barbu efflanqué en treillis qui
> semble commander un groupe d'hommes vêtus de noir à Lausa, apprécie le
calme
> que lui vaut l'expédition diplomatique. Mais cache mal sa déception. "Ces
> gens viennent pour la première fois et ne rencontrent que la police? Ils
> peuvent nous aider s'ils n'écoutent pas la propagande serbe. L'armée dort
> dans notre théâtre, notre école. Si l'Europe et les Etats-Unis ne nous
> aident pas, la guerre va continuer."
>
> Pour l'ex-étudiant en chimie qui patrouille dans un jeep immatriculée en
> Allemagne, les Kosovars n'accepteront pas moins que l'indépendance
> plébiscitée par référendum, "même s'il faut passer sur nos cadavres". Et
> contrarier la communauté internationale. Malgré la pénurie alimentaire,
les
> tirs sur Lausa, Gani est confiant. "Chaque jour, nous nous renforçons et
> nous allons plus loin. Je ne sais quand, mais nous arriverons à Pristina."
> Sur le chemin du chef-lieu, situé à 40 kilomètres, les "check-points" de
l'
> UCK ont poussé comme des champignons. Un long no man's land de bourgs
> déserts les séparent du territoire sous contrôle gouvernemental, où des
> tanks, le canon pointé sur les collines, protègent le dernier tronçon
> routier.
>
> Selon le centre de presse serbe, une attaque de la guérilla près de Pec,
non
> loin de la frontière albanaise, a coûté hier la vie à deux policiers et
> blessé six autres. Les observateurs ont du pain sur la planche.
>
>
>
>
> Les forces, les acteurs, les options
> Jean-François Verdonnet
>
>
> Les forces en présence
>
>
> - L'Armée de libération du Kosovo (UCK). Créée, semble-t-il, en 1992, elle
> sort de l'ombre en février 1996 en signant plusieurs attentats, notamment
> contre des postes de police serbes. Elle contrôle 30 à 40% du territoire
et
> revendique "30 000 hommes et la possibilité d'en mobiliser dix fois plus".
> Ce chiffre paraît exagéré aux experts, qui estiment cependant ses
effectifs
> en nette augmentation depuis l'offensive serbe du mois de février. L'UCK
> serait en partie financée par la diaspora albanaise notamment en Suisse et
> en Allemagne. Les groupes mafieux ne sont pas étrangers à son
> approvisionnement en armes. L'encadrement serait assuré par d'anciens
> officiers albanais limogés de l'armée et de la police, après la
suppression
> par Belgrade du statut d'autonomie du Kosovo en 1989. La faiblesse de
l'UCK
> tient à la structure éclatée de son commandement. "Nous ne savons pas qui
> contrôle les hommes armés, et si quelqu'un les contrôle effectivement", a
> indiqué dimanche l'émissaire américain Richard Holbrooke.
> - Les forces de l'ordre serbes. Elles étaient récemment évaluées par le
> magazine Croatia Weekly à 100 000 hommes, répartis dans la province.
>
> Les acteurs
>
> - Slobodan Milosevic. Le président yougoslave, affirme Pierre Hassner,
> professeur de relations internationales à l'Institut d'études politiques
de
> Paris, "louvoie entre deux logiques. La logique de guerre, qui consiste à
se
> rattraper aux yeux des nationalistes après l'abandon des Serbes de Krajina
> et de Slavonie, et la logique de paix, dans le but de réintégrer la
> communauté économique internationale. Je crois qu'il veut montrer sa force
> et maintenir le statu quo, quitte à faire quelques concessions mineures."
> - Ibrahim Rugova. Dirigeant du principal parti politique albanais la Ligue
> démocratique du Kosovo (LDK) devenu en 1992 "président" de la communauté
> albanaise lors d'élections non reconnues par Belgrade, il a fait de l'
> indépendance de la province l'objectif ultime de son combat. En attendant,
> il se dit prêt à accepter une "solution intérimaire", fondée notamment sur
> "une présence internationale concrète", afin de préserver les chances d'un
> règlement pacifique du conflit. Son autorité est battue en brèche par
> plusieurs opposants, le principal étant Adem Demaqi, qui lui reproche à la
> fois une "politique passive" et un "autoritarisme sans faille". Dans une
> interview au Spiegel, le porte-parole de l'UCK estime de même que la
> statégie de Rugova n'a "rencontré que des échecs au cours des dix
dernières
> années". En dépit de cette contestation, les Etats membres du groupe de
> contact (Etats-Unis, Russie, France, Grande-Bretagne, Allemagne, Italie),
> continuent à ménager Ibrahim Rugova: "Il demeure l'interlocuteur principal
> pour les négociations", déclarait hier le porte-parole officiel du Quai-d'
> Orsay.
>
> - L'UCK. L'Armée de libération du Kosovo semble s'être imposée comme un
> interlocuteur auprès des Etats-Unis. D'abord discutée comme
> "sensationnaliste" par les Européens, les rencontres de Richard Holbrooke
> avec des responsables de l'UCK sont maintenant approuvées par l'Allemagne,
> au nom du principe de réalité. La Russie, cependant, et dans une moindre
> mesure, la France, expriment toujours de fortes réserves à l'encontre
d'une
> stratégie, qui leur semble entraîner la province sur la voie de l'
> indépendance.
>
> Les options
>
> Elles ont fait l'objet de nombreuses réunions au cours des dernières
> semaines, notamment à Crans-Montana, où s'est rendu récemment M.Holbrooke,
> et à Genève, qui a vu se succéder M.Gelbard, l'envoyé américain dans les
> Balkans, et le commissaire européen van den Broek.
> Trois grandes options peuvent être distinguées. La première est l'
> indépendance: c'est l'objectif ultime de la Ligue démocratique du Kosovo
et
> de l'UCK. Elle se heurte à la double opposition de Belgrade et des grandes
> puissances, qui se montrent soucieuses de préserver les équilibres
instables
> de la région.
>
> Les deux autres projet opposent le retour au statu quo ante défendu par le
> président Milosevic une autonomie étroite et le compromis que paraissent
> rechercher les Etats-Unis une autonomie élargie. "En dehors des Albanais,
> estime Pierre Hassner, personne ne souhaite l'indépendance pure et simple
du
> Kosovo, ni une modification des frontières. La seule solution serait la
> création d'une troisième République dans le cadre de la Yougoslavie, aux
> côtés de la Serbie et du Monténégro." C'est à ce cadre que Washington et
les
> puissances du groupe de contact semblent aujourd'hui réfléchir.
>
>
>
>
>
>
|